“J’ai appris, par l’intermédiare d’un ami à qui je suis tendrement attaché, que vous vous occupiez en ce moment d’un travail relatif aux circonstances qui ont accompagné la lutte que le trône des Bourbons a eu à soutenir dans les derniers jours de Juillet, 1830, vous proposant pour but, dans ce travail, de rectifier les erreurs qu’une calomnie victorieuse a cherché à propager dans le public.
“Personne mieux que vous, Monsieur, ne peut accomplir si noble tâche, et avec plus d’espoir de succès; votre talent bien connu, vos principes, vos sentiments généreux feront obtenir à la vérité ce triomphe que la force et les passions du moment ont pu seules lui arracher.
“Quant à moi, dont le nom se trouve nécessairement associé au drame révolutionnaire dont la malheureuse France a offert le spectacle à l’Europe, il me serait impossible de vous peindre tous les élans de ma reconnaissance; ceux-là seuls peuvent en mesurer l’étendue qui, habitués à étudier le cœur humain, comprendront ce que le mien a dû souffrir en me voyant, en face d’un peuple égaré et irrité, forcé de garderie silence. J’ai dû accepter,—ainsi que je le mandais à un de mes amis, à une époque peu éloignée de celle où nous sommes,—j’ai dû accepter tous les genres d’accusation qu’on a voulu entasser sur ma tête.
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“Ces moments cruels sont passés sans doute; le temps est venu calmer l’irritation des esprits; les événements qui se sont succédés ont pu désiller bien des yeux, désabuser bien des esprits, et l’on pourrait se demander, si le moment ne serait pas enfin arrivé de révéler les mystères du passé et de présenter quelques explications devenues nécessaires pour ma justification.
“Je pourrais faire à cette question une réponse affirmative; mais j’ajouterai que je ne saurais être la personne chargée d’une semblable tâche; ma présence dans la lice réveillerait des amours propres, raviverait des ressentiments presque éteints; elle pourrait troubler ce repos momentaire que la lassitude du mal entraine souvent après lui. Il est des circonstances où le bon citoyen doit même savoir accepter les effets de la calomnie par amour pour la paix. La postérité, ou peut-être de mon temps encore, la plume de quelque main amie expliquera mon silence; il sera compris par l’homme de bien.
“D’ailleurs, le langage et les actes de ceux qui se sont faits mes accusateurs ont déjà commencé ma justification, et celle-là, au moins, n’a aucun des inconvénients que je viens de signaler.
“En effet, quelques-uns d’entr’eux reprochent aux ministres de Charles X. d’avoir violé la charte de 1814, en faisant une fausse application de l’article 14. renfermé dans cette même charte; mais eux, qu’ont-ils fait le 29.
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“D’autres, par leurs aveux, justifient d’une manière plus éclatante encore les ordonnances de Charles X. Ils déclarent qu’il y a eu, sous la restauration, une conspiration permanente contre les Bourbons; ils en nomment les chefs, ils en indiquent et la marche et le but, lequel était, disent ils, de renverser à la fois et le trône et la charte; ils se vantent d’avoir, dans les derniers temps du règne des Bourbons, rendu tout gouvernement impossible; c’est ainsi, qu’en révélant leur anciens projets, qui, au reste, étaient bien connus du gouvernement en 1830, ils disculpent le souverain qu’ils ont détrôné, puisqu’ils prouvent qu’il n’a agi que dans un but de défense personnelle et pour repousser des attaques qui menaçoient le trône et la tranquillité publique.
“Il suffirait donc aujourd’hui, pour justifier Charles X. et ses conseillers, d’enrégistrer les aveux qui remplissent les colonnes des journaux français. L’histoire impartiale se chargera sans doute de ce soin.
“Dans une brochure que j’ai publiée au commencement de cette année, et que je prie la personne qui a la bonté de vous transmettre cette lettre, de vouloir bien vous faire passer, j’ai prouvé la légalité des ordonnances du 27. Juillet, 1830; j’ai même prouvé que les adversaires de la couronne avaient, soit dans leurs discours à la tribune parlementaire, soit dans leurs écrits, interprêté le sens de
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“Vous excuserez, Monsieur, la longueur des détails dans lesquels je suis entré; j’ai cru devoir vous les soumettre, sachant que votre judicieux discernement et votre impartialité vous portent à ne pas juger des causes seulement par leurs effets, ni à vous laisser séduire par des apparences trompeuses. Je terminerai cette lettre par quelques observations sur la note que vous avez entre les mains, intitulée Note sur quelques circonstances relatives aux événements de Juillet, 1830.
“De graves erreurs, à ce qu’il me semble, se sont propagées concernant le nombre de troupes confiées au Maréchal Duc de Raguse, lors des troubles qui éclatèrent à Paris vers la fin de Juillet, 1830. Vous pouvez maintenant juger combien sont erronnées les bruits qu’on s’est plu à répandre à ce sujet. Une simple observation suffit pour en démontrer la fausseté. N’est-il pas évident, en effet, que, si le Duc de Raguse n’eût eu à sa disposition que cinq à six mille hommes, comme on la prétendu, il y eût eu, de sa part, une coupable impéritie à adopter le plan qu’il suivit le 28. Juillet, au moment où l’insurrection avait acquis son plus haut dégré d’intensité. Ce plan consistait, comme on le sait, à diviser ses troupes en trois colonnes, lesquelles devaient traverser Paris dans sa plus grande longueur, puis se répandre dans les rues nombreuses de la capitale. L’exécution de ce plan me parut même audacieux; les résultats n’en furent point heureux; la plus grande partie des troupes, ainsi divisées en petits corps épars dans des rues étroites, eurent beaucoup de peine à revenir sur leurs pas, et à surmonter les obstacles et les dangers qui s’opposaient à leur retour. Quoiqu’il en soit, on ne peut, sans faire injure aux talents militaires,
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“Ce n’est point tout, après la journée du 28. la seule, on peut le dire, dans laquelle les rues de Paris furent le théâtre d’une lutte sanglante, puisque le lendemain matin la capitale fut évacuée, le Duc de Raguse, malgré la résistance opiniâtre qu’il avait rencontrée, dit hautement à mes collègues, à moi-même et à d’autres officiers présens, qu’il se maintiendrait un mois dans la position qu’il occupait alors; cette position était le Louvre, les Thuileries, les deux quais de la rivière et les Boulevards: il ajouta qu’elle était inexpugnable, et insista pour que j’en donnasse connaissance au roi, ce que je fis aussitôt. Il est donc hors de doute, qu’à cette époque, le Duc de Raguse avait encore la ferme conviction, que ses forces étaient suffisantes pour s’opposer aux efforts de l’insurrection, bien que toutes les troupes, qui des divers points de la division militaire placée sous son commandement se dirigeaient sur Paris, ne l’eussent point encore rejoint.
“Ainsi voilà deux faits avérés, incontestables, l’un desquels s’est passé avant l’action et l’autre après l’action, qui, sans autre commentaire, prouvent l’absurdité des bruits que des journaux français et étrangers se sont plus à accréditer relativement à l’insuffisance des forces qui furent confiées au Duc de Raguse, au mois de Juillet, 1830.
“Le 29. Juillet, au matin, Paris fut tout-à-coup évacué, presque sans coup férir; je cessai d’être ministre, et de prendre par conséquent part aux événements qui se sont succédés: qu’elles furent les causes de cette retraite précipitée, qui livra la capitale aux insurgés et la monarchie à ses ennemis, c’est à l’histoire qu’il appartient de les approfondir: quant à moi je les ignore encore.
“Il n’est peut-être pas inutile, Monsieur, que je pré-
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“J’ai cru, Monsieur, devoir vous donner ces explications, qui furent devenues inutiles si le rédacteur de la note que vous avez entre les mains eût mieux exprimé sa pensée; les détails qu’elle contient seront rapportés avec plus de développement dans un travail qui se prépare, mais dont la publication doit être encore ajournée; et c’est à vous, Monsieur, que je serai redevable du premier essai qui aura été tenté d’éclairer le public sur des circonstances peu connues des uns et calomnieusement interprétées par les autres: une semblable tâche ne pouvait être entreprise par une plume plus éloquente, plus habile, ni qui fit mieux présager le succès.
“C’est avec regret, Monsieur, que je me suis vu forcé d’emprunter une main étrangère pour tracer les lignes que j’ai l’honneur de vous addresser; mais la faiblesse de mes yeux et d’autres incommodités inhérentes à la position dans laquelle je me trouve en ce moment, m’en ont fait une nécessité. Je n’ai pas, cependant, voulu terminer ma lettre sans charger moi-même de vous réitérer l’expressions de ma vive réconnaisance, ni sans vous prier d’agréer ici l’assurance de mes sentimens d’estime et de haute considération.